07/08/2015
Le centre de résistance français entre Lesve et Gonoy
Le 21-23 août 1914, les troupes constituant le 1er corps d’armée aux ordres du général Franchet d’Esperay « gagnent leurs positions. La 1ère division d’infanterie du général Gallet avec deux groupes d’artillerie alignera la 1ère brigade du général Marjoulet entre Lesve et Gonoy sous la protection de la 2ème brigade du général Sauret, depuis la veille au nord et autour de Sart-Saint-Laurent. La 2ème division du général Deligny se rassemblera autour de la ferme de Montigny tenant Lesve et les Six-Bras ». Ces colonnes « attendent du général Lanzerac le signal du départ » pour attaquer en direction de la Sambre. Deux de nos villages sont concernés : Lesve et ses campagnes, Arbre dont le hameau de Besinne et les écarts de Montigny et Neffe sont occupés.
Les troupes rassemblées dans les environs immédiats de Lesve. Énorme concentration d’hommes! Plus ou moins 25000 hommes et un nombreux charroi.
Les troupes françaises autour de LESVE, les 22 et 23 août 1914
La 1ère division du général Gallet
Lesve, sur la route des Fermes,
1ère brigade du général Marjoulet, avec les 43ème et 127ème RI appuyée par de l'artillerie du 15ème RAC (deux groupes) forme le point de résistance.
Au Nord de Lesve, à Sart-Saint-Laurent, la 2ème brigade du général Sauret, avec les 1er et 84ème RI. et un groupe d'artillerie du 15ème RAC. Lors de leur retraite vers Saint-Gérard, ces troupes occuperont, une partie de la journée, le carrefour des Six-Bras.
la 2ème division du général Deligny
A Montigny, Lesve et Besinne,
3ème brigade du général Duplessis avec les 33ème et 73ème RI. En attente.
Une partie de la 4ème brigade du colonel Pétain (commandant par intérim) avec le 8ème RI. se porte à Lesve et au carrefour des Six-Bras.
Cette infanterie est appuyée par l'artillerie du 27ème RAC renforcée par des groupes du 41ème RAC concentrées un temps à Montigny mais qui se disperseront dans la matinée vers leurs positions définitives.
On note également la présence de troupes du génie et de cavalerie mais qui n’auront aucune activité dans les deux villages cités. Seule une reconnaissance par une patrouille de chasseurs à Cheval est renseignée dans le village de Arbre. C’est la seule allusion.
Le secteur Ouest
Le 23 août; Après avoir quitté leur cantonnement de Denée à 2 heures du matin, deux des trois bataillons du 43ème RI, aux ordres du colonel Proye, s’avancent vers Lesve étant chargés de l’organisation du centre de résistance entre ce village et Gonoy. Le groupe d’artillerie du commandant Bourette qui les accompagne est poussé jusque la ferme de Hérende en retrait de la crête, cote 245.
à 4 heures du matin
En arrivant à hauteur de ladite ferme, le colonel est avisé que les troupes qui devaient l’épauler sur sa gauche se sont repliées. Cette situation entraîne deux modifications à son dispositif de défense. Au lieu d’être orienté face au Nord entre Gonoy et Lesve, le front est orienté face au NO entre Libenne et la Folie d’Auvelais. Le centre de la position au lieu d’être porté sur le plateau de Marlagne est ramené entre Libenne et Volée, à la cote 264.
La ferme de Libenne et la ferme des Volées, entre ces deux implantations, les tranchées françaises.
De 4 heures à 8 heures,
Le déploiement s’effectue normalement. Les chefs de bataillons disposent leurs compagnies selon les consignes reçues. Le creusement des tranchées commence. Les sections de mitrailleuses balaient le ravin de Lesve. Des tranchées spécifiques à la guerre de mouvement. Pas très profondes, on est loin des tranchées creusées sur le front d’une guerre de position. Tout est calme.
Une section de mitrailleuses du 43ème RI.
Des renforts arrivent
Le groupe d’artillerie du 15ème RAC du commandant Dénommé et les groupes des capitaines Hesse et Broutin du 41RAC arrivent d’Ermeton-sur Biert sous les ordres du colonel Laboria. Des renforts en artillerie qui nécessitent, de nouveau, une légère modification dans la disposition des troupes. « Comme cette masse d’artillerie n’est couverte que par deux bataillons d’infanterie », le général Marjoulet rappelle à lui le II/127 du capitaine Seupel et le I/127 du capitaine Vincens, (il perdra la vie durant cette journée) laissant toutefois le III/127 assurer la surveillance à la lisière Est de Saint-Gérard.
Une compagnie du 127ème régiment d'infanterie en marche vers ses positions. Détails d'une photo (voir notes)
Un canon, son caisson de munitions et les servants.
Le groupe du commandant Bourette reçoit pour mission de prendre sous son feu les abords de Gonoy, le groupe du commandant Dénommé doit quant à lui « interdire à l’ennemi la possession de la crête en face des Neuves Censes ». Le reste de l’artillerie sera "maintenu sur roues, en attente".
En tout début de matinée, un avion allemand, un Taube, passe au-dessus des positions. Suite à cette reconnaissance, les groupes d’artillerie surnuméraires sont rapidement déplacés et reportés plus en arrière, à la ferme Au Pape, avec mission « d’interdire la crête de Maison à l’artillerie ennemie et de s’opposer à la progression de l’infanterie ennemie venant de Pontaury et de Maison et Plançon ».
La ferme Au Pape, entre Montigny et les Volées.
Un combat d’artillerie
8 heures
Le groupe du commandant Bourette est pris sous le feu d’une batterie allemande « masquée que nos artilleurs ne parviennent pas à repérer ». Les batteries sont fortement engagées. Les tranchées de la première ligne occupées par des éléments des 43ème et 127ème sont « arrosées d’obus ». Malgré la puissance du feu adverse, « le groupe Bourette tient ferme » rapporte le JMO et continue ses tirs sur les troupes d’infanterie ennemies lui causant des pertes sensibles durant sa progression.
10 heures
Le groupe du commandant Denommé, pris d’enfilade par « des tirs d’efficacité d’artillerie lourde », ne peut répondre au feu adverse. Déjà une victime et des blessés parmi les artilleurs. « Le maréchal des logis Nicolai ayant eu un servant tué à sa pièce maintient les autres servants en place sans éveiller l’attention de personne, assurant ainsi l’ordre dans la batterie dont le personnel aurait pu être horrifié à la vue de l’un des siens morts ». Après avoir essuyé le feu de l’artillerie allemande pendant une heure, le groupe reçoit l’ordre de se retirer et de rejoindre la ferme Au Pape. Là où se trouve déjà les batteries de réserve du 41RAC.Les pertes subies par le groupe du commandant Denommé, 5 blessés et 3 hommes tués. Un canon et 5 caissons.
« Les chevaux tombés et tués empêchent de retirer le matériel ».
11 heures
Les Français entrent au contact de l’ennemi du côté de Saint-Gérard. Conformément à sa tactique, l'Etat-major allemand fait donner son artillerie avant d’envoyer son infanterie. Le III/127 quittant ses positions de réserve se rapproche de la première ligne. Le sergent de la 11ème compagnie, Henri Cuvillier, témoigne. Un témoin privilégié (si l’on peut dire cela…). Il nous laissera de précieuses notes.
Le secteur Est
La ferme de Montigny, au sommet de la colline, domine le plateau
Depuis le matin, des éléments de la 2ème division (général Deligny), venant de Sommière, se rassemblent dans le secteur compris entre Montigny et la lisière Est de Saint-Gérard.
Dès 6 heures, on note le déploiement de la 3ème brigade (général Duplessis) , avec le 33ème RI à gauche « en rassemblement articulé autour de la ferme, face au nord » , le 73ème « « en rassemblement articulé autour du bois de Montigny, côte 229 à 2 km Est de Montigny » et de deux groupes d’artillerie du 27 RAC en surveillance au milieu du dispositif. Face à l’Ouest, en direction de Saint-Gérard. Le 8ème RI, aux ordres du colonel Doyen, arrive de Bioul par Rouchat et Besinne et occupe Lesve avec le 3ème bataillon tandis que le 1er bataillon renforcé par les 5ème et 8ème compagnies est porté au carrefour des Six-Bras, la 4ème est en surveillance sur les routes y accédant. La situation étant jugée relativement calme, seule la 4ème compagnie restera à la garde de ce carrefour tandis que les autres éléments du régiment s’installent aux Hayettes (Lesves) et à Besinne (Arbre) , « en réserve d’aile ».
Le général Franchet d’Esperey se rend à Montigny afin de s’assurer du bon déploiement des troupes et « y décore le capitaine Vautrin de la 4/33 »: ( un capitaine qui a tenu une position à Dinant avec sa compagnie sous le feu violent de l’ennemi. Il a été blessé et perdu une centaine d’hommes). Le canon a commencé à tonner du côté de Saint-Gérard.
10 heures
« au moment où la 2ème division achève de se rassembler autour de la ferme de Montigny, le général Franchet D’Esperey reçoit avis que des colonnes ennemies importantes de toutes armes se dirigent de Fosses sur Mettet et qu’une brigade de cavalerie allemande se dirige sur Plançon ». Ces troupes partant de Fosse, prennent la direction de Saint-Gérard en passant par Haye Mayet, Maison, Gonoy. Les Français renforcent le front afin de contrer la manœuvre. La 2ème division quitte Montigny et se déplace sur la crête de Saint-Gérard. Le flanc allemand est fragilisé pendant cette marche. C’est l’occasion d’attaquer pour les Français et de repousser les troupes allemandes vers la Sambre.
Dinant et le front mosan : Un événement qui change tout
Alors que les Français ont l’opportunité d’attaquer, leur Etat-major apprend que les Allemands, qui ont traversé la Meuse à Dinant, refoulent les troupes commises à la défense du fleuve. Craignant d’être pris à revers, la retraite des troupes trop avancées dans l’Entre-Sambre-et-Meuse est décidée « par échelons successifs et tout en combattant ».
De Sart-Saint-Laurent à Saint-Gérard
Après un long combat autour de la ferme Bijart, la brigade Sauret se replie vers Lesve. Elle prend momentanément position aux carrefour des Six-Bras, en remplacement du 8ème régiment d’infanterie, puis reprend son reculade. Elle laisse cependant le III/ 84 RI en soutien d’artillerie à Montigny, le gros de la brigade allant se porter entre Saint-Gérard et Neffe pour couvrir le repli des troupes menacées. Quant au 8ème RI, il s’est repositionné vers Denée.
Entre les bois de Neffe et Saint-Gérard
De nouveau la ferme de Montigny se trouve en plein théâtre des opérations. Elle subira d’énormes dégâts durant les combats d'artillerie.
L’abandon de la position Lesve - Gonoy.
12 heures 30
Le secteur défensif Lesve – Gonoy se trouve déforcé et fort exposé du fait du repli des troupes de Sart-Saint-Laurent.
13 heures
Rapidement, la menace se précise. Des détachements d’infanterie ennemie que l’on « voit sortir des bois à 1200 ou 1500 m de nos positions » se préparent à l’attaque. Le feu d’artillerie ennemi redouble de violence. Batteries et tranchées sont constamment « arrosées d’obus ». « l’infanterie adverse, appuyée par une puissante artillerie, tente vainement, à partir de 11 h 30, de déboucher de ses couverts. Les fusils sont prêts et nul n’ignore son devoir. Pendant près de trois heures, les vagues allemandes sans cesse renouvelées viennent avec une énergie et un entêtement farouches, se briser tour à tour contre nos lignes ». Ce sera pour beaucoup un baptême du feu d’une extrême violence. Combats terribles à la baïonnette. Le 127ème RI est lourdement accroché. Il doit rompre et se retirer. Les Allemands débordent vers Lesve.
14 heures 30
La situation devient critique. Le 43ème subit, lui aussi, un assaut appuyé. Le choc est rude. Les troupes allemandes attaquent en masse. « Vivement pressé, il est contraint de quitter la position ». Le curé de Lesve est déjà sur le terrain occupé à soigner les blessés et donner les sacrements aux mourants.
La ferme d' Hérende
Ordre d’évacuer le centre de résistance par échelons successifs en commençant par l’artillerie. Le groupe Bourrette, « qui depuis plusieurs heures se tient ferme sous le feu intense des différents batteries allemandes » reçoit en premier l’ordre de se replier sur Lesve, l’infanterie en second lieu. Le décrochage semble bien se passer pour les 7ème et 8ème batteries mais lorsque la 9ème veut leur emboîter le pas… C’est une avalanche de fer et de feu qui s’abat sur Hérende.
Les avant-trains décimés par le tir ennemi.
Des tués, des blessés, des disparus parmi les artilleurs.
Il en résulte une panique qui se communique aux troupes d’infanterie voisines. Le III/43 qui commençait son repli en « est fort gêné ». « Les fantassins abandonnent leurs positions et ce n’est qu’une ½ h d’effort de la part des officiers qu’un peu d’ordre peut être rétabli et que la retraite s’effectue dans les conditions à peu près normales dans la direction de Bioul ».
15 heures
Le II/43 est le dernier à se retirer. Bien que plusieurs compagnies soient obligées de traverser des zones battues par l’artillerie, les pertes ne sont guère conséquentes.... disent les rapports!
La retraite vers Montigny et Neffe
Le sergent Henri Cuvillier, de la 11ème compagnie du 127ème RI, est un des témoins des combats. Il témoigne.
« Au loin, ces masses sombres, ce sont les Allemands. A l’orée du petit bois, au Nord-Ouest du plateau, une de nos batteries de 75 est installée. Elle sème la mort dans les rangs prussiens. A dix-heures, le tir s’allonge. La situation menace de devenir critique. Un avion allemand vient survoler. C’est la batterie que cherche le taube. Il l’a vue et trace plusieurs circonférences et fuit à tire d’ailes. Immédiatement les obus pleuvent autour de la batterie. Impossible aux chevaux d’aller la chercher. Quelques pointeurs restent courageusement à leur poste. Enfin un sergent-major avec des volontaires parvient à sauver deux canons ». (C’est le groupe Denommé.)
D’ autres extraits seront repris dans la page consacrée à l’attaque allemande
La retraite vers Montigny est très laborieuse car les troupes sont obligées de « se replier très vivement talonnée… » La manœuvre est protégée par le I/43 appuyé par « du 84 RI et du 127 RI » qui forment un barrage de feu avec l’aide des groupes d’artillerie Durant du 15ème RAC et Broutin du 41ème RAC. Les artilleurs soutiennent « avec avantage la lutte contre la puissante artillerie ennemie », détournant momentanément la pression exercée sur les unités en retraite. Le feu se concentre sur Montigny.
La ferme subit de graves dommages.
(Photos prises en 2003). Selon les anciens propriétaires, la grange ne fut jamais relevée et lors de la reconstruction des étables et du corps de logis, la pierre fut remplacée par la brique d’où des appareillages différents.
Les troupes doivent être dégagées du plateau de Montigny. « Le général de Division Gallet s’y porte d’où il revint avec des éléments de la 1ère brigade reconstitués ».
L’ennemi progresse vers la ferme repoussant les derniers défenseurs. Ils débordent le dernier échelon défensif. Les Français ont cependant eu le temps de s’échapper vers Bioul par les Bois de Neffe.
A la tombée de la nuit, le combat est rompu sur toute la ligne et les différentes unités reçoivent l’ordre de se retirer. La route vers Denée est menacée, Saint-Gérard et la ferme de Montigny sont en feu. « La retraite s’effectue assez tard dans la nuit à la clarté des incendies ».
La ferme incendiée. Témoignage de l’abbé Badot de Arbre.
Sources:
Crédit photographique
Le site du Chtimiste http://www.chtimiste.com
Avec les autorisations du Docteur Baillet (photo d'artillerie montée) et de M. Marc Esnault. Merci à eux.
Merci également à M. Body pour les photos d'attelages. Voir le site http://1914-18.be/
Archives de l'Evêché pour les paroisses citées.
Schmitz et Neuland op. cit.
G. Gay, la bataille de Charleroi, 1923
La défense de la position fortifiée de Namur, Bruxelles, 1930
Les JMO des régiments concernés ainsi que les JMO des brigades, des divisions et du corps d'armée.
Historique des régiments 83ème et 127ème RI
Le carnet de notes du sergent H. Cuvillier du 127ème RI
Carte IGN
Photos personnelles dont deux de 2003.
18:26 | Lien permanent
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